Nous avions un tableau noir. Nous : mes trois frères et moi. Sur ce tableau noir, craie à la main, papa traçait un grand rectangle et disait : voici le cimetière du monde. Puis il remplissait le grand carré blanc de petits rectangles : il est peuplé de
d’hommes et femmes qui ont livré un combat pour l’humanité et ont été vaincus. Votre héritage est dans ces tombes anonymes, disaient-ils. Il nous faisait ainsi comprendre qu’un vaincu, c’est une question qui n’a pas trouvé sa réponse, c’est une bouteille lancée à la mer qui attend qu’on la trouve et qu’on lise son message. Les vaincus nous laissent une mission : reprendre le combat, reformuler les vouloirs de base, garder intact le désir de justice et d’égalité, maintenir actif le flambeau de l’utopie. Je ne remercierai jamais assez mon père de nous avoir donnés une conscience. Un père, c’est ça : quelqu’un qui vous donne une conscience de l’humanité.